Estel vient de traverser deux ans de crise de l’élevage dont elle espère voir le bout du tunnel. L’entreprise doit, par ailleurs, répondre à l’avènement des techniques digitales, pour lesquelles le monde de l’élevage n’est pas en reste. Elle joue à la fois l’ouverture sur des zones géographiques qui sortent de son périmètre historique de chalandise, tout en diversifiant ses activités de proximité, par croissance externe.
« Nous sommes victimes du syndrome japonais ». Michel Paolillo, qui dirige Estel depuis trois ans, utilise volontiers cette comparaison géopolitique pour caractériser la situation de l’Alsace-Lorraine. « Une petite région d’élevages, nos six départements représentent ensemble tout juste l’équivalent de deux départements de l’Ouest, et nous sommes ceinturés par la proximité de l’Allemagne, de la Belgique et du Luxembourg ». Autant dire l’obligation pour la filiale commerciale de l’Arsoé du Nord-Est, dont le président est Damien Tiha, de s’ouvrir vers l’extérieur.
Stratégie en quatre piliers
L’entreprise implantée sur le pôle de Nancy-Pixérécourt vit actuellement un moment charnière de son histoire. Elle vient de traverser deux ans de crise de l’élevage dont elle espère voir la fin du tunnel. Le chiffre d’affaires 2017 qui sera voisin de 2,6 M€ a été impacté par une baisse de 4,4 % des activités élevage, les effectifs animaux ont diminué de 1,7 % et les Iap moyennes de 3,4 %. Estel a toutefois intégré de nouveaux adhérents : le contrôle laitier de Haute-Marne et l’Ede de la Somme qui lui ont permis de contrebalancer l’érosion sur sa zone historique. Estel doit, par ailleurs, répondre à l’avènement des techniques digitales, pour lesquelles le monde de l’élevage n’est pas en reste, loin s’en faut. Michel Paolillo a présenté devant les personnels, le 19 janvier, une stratégie moyen terme basée sur quatre « piliers : fidéliser, développer, innover et rentabiliser ».
Sur les 9.000 éleveurs que compte le Grand Est, environ 6.000 utilisent des outils électroniques. Près de 4.000 sont abonnés à un pack à la carte d’EstElevage développé par Estel. 2.000 se contentent du service web-identification proposé par les Chambres d’agriculture qui ne permet que de gérer la partie réglementaire. A l’automne 2015, le coût du panier annuel moyen des packs Estel a été diminué de 5 % pour prendre en compte les difficultés des éleveurs. L’an passé, les six packs proposés s’échelonnaient de 15 €/an à 180 €/an, le pack de base EstElevage Essentiel à 50 €/an. Le premier prix qui n’a pas varié depuis sept ans passe à 30 €/an en 2018 et le Pack Essentiel à 60 €/an. Ces nouveaux tarifs restent néanmoins, à service égal, les plus compétitifs du marché. La volonté est de faire monter la mobilité. « En dix-huit mois, nous sommes passés de 0 à 1.000 éleveurs en mode déconnecté, soit un quart des adhérents d’EstElevage qui n’utilisent plus que le smartphone quel que soit l’endroit où ils se trouvent, laissant de plus en plus de côté l’ordinateur » analyse Michel Paolillo.
Comités techniques trimestriels
La fidélisation des clients agriculteurs passe par le développement d’outils (dont certains ont près de vingt ans d’âge) pour les différentes « familles » : Ede, Cia, Gds, contrôle de performances.
Les comités techniques trimestriels régionaux sont « notre clé de voûte ». La force est d’associer l’éleveur et l’informaticien pour faire évoluer les outils et prendre en compte en temps réel les évolutions du monde animal «du vivant qui bouge tout le temps». L’ouverture un peu plus large sur l’extérieur est une nécessité. Estel est armée pour répondre à des appels d’offre extra-régionaux, en particulier ceux diffusés par les fédérations nationales des différents métiers de l’élevage. Parmi la trentaine de collaborateurs de l’Arsoé, Nancy dispose de chefs de projets reconnus au niveau national.
Le logiciel Ori-Automate, diffusé par France Conseil Elevage pour la gestion des données issues des robots de traite, est le fruit de la matière grise déployée par leurs équipes de développeurs.
De même, le logiciel Cap’Eco développé par l’Arsoé pour l’Institut de l’Elevage (Idele) permet de réaliser le diagnostic de la productivité et des charges opérationnelles des exploitations bovins viande en France. Même chose pour OptiMir qui permet l’analyse par spectres du lait, capable de révéler des anomalies au niveau de l’animal. Ce projet est développé dans le cadre d’un partenariat européen autour de la structure Emr (European milk recording) avec un axe fort transfrontalier avec l’Allemagne et la Belgique.
Reprise d’Isylog
En novembre prochain est programmée l’ouverture du règlement zootechnique européen (Rze). La donne va être bouleversée. « Estel fait partie des groupes de travail et nous serons prêts » affirme Michel Paolillo. De nouvelles règles de protection des données des éleveurs vont être édictées, de même que les conditions d’échanges de ces informations. Dans le cadre de la diversification de ses activités, Estel vient de racheter la société Isylog, filiale de l’Apal spécialisée dans les logiciels de gestion adhérents, plan sanitaire, planning, atelier et classement des documents. Les trois salariés vont prochainement intégrer le site de Pixérécourt. Isylog réalise un chiffre d’affaires de 400.000 € grâce à un portefeuille d’une centaine de clients. Un tiers de cette activité est effectuée avec les acteurs négociants en élevage, les deux autres tiers avec des Pme offrant des services, type maisons de santé, mais aussi avec des mairies. Autant dire une ouverture de marchés sur des cibles pas explorées par Estel jusqu’à présent qui devrait pouvoir aussi prendre une dimension nationale à travers des associations d’éleveurs, dont l’Apal est une des principales composantes.
Sécurisation des données
Pour son fonctionnement quotidien, Estel a revu complètement son architecture informatique en 2017. Elle s’est adossée au premier opérateur professionnel régional (le cinquième français) Adista situé sur le pôle Saint-Jacques 2 à Maxéville. Toute la production a été transférée en mai dernier afin de parfaire la sécurité des données stockées. Estel conserve une sauvegarde sur Pixérécourt. Un plan de continuité de l’activité avec haute disponibilité a été conçu, alimenté par deux réseaux de fibre différents. Cette opération a nécessité un investissement de près de 100.000 €.
La plateforme Harmony Grand Est
Suite à la table ronde sur la digitalisation des données d’élevage organisée au printemps dernier par la Chambre régionale d’agriculture, une plateforme « Harmony Grand Est » est en cours de constitution. Le challenge est de taille pour les organismes d’élevage de la région qui veulent faire valoir leur savoir-faire et la spécificité de la polyculture-élevage, face aux plateformes nationales, voire internationales.
Michel Paolillo défend le principe que « l’apport et la maîtrise des nouvelles technologies doivent permettre le partage et l’usage de la donnée qui en font sa vraie valeur. L’éleveur est, et doit rester au centre de nos préoccupations en tant que propriétaire de ses données, son consentement et son accord impératif sont absolument nécessaires à l’éventuelle diffusion de ses informations suivant des règles très rigoureuses et sécurisées ». « Tous les partenaires sont les bienvenus pour enrichir ce projet de Cluster d’Entreprises nécessaire à la défense des intérêts spécifiques de l’élevage du Grand Est ».
La Chambre régionale d’agriculture doit prochainement déposer un projet européen d’innovation, susceptible d’être accompagné financièrement. Afin d’étoffer au maximum le projet « Harmony Grand Est » tous les éleveurs sont conviés à proposer leurs idées en terme d’échanges de données, de valorisations dans leurs intérêts au quotidien. A cet effet, ils sont invités à participer au concours « Pépinière d’idées Harmony Grand Est » en déposant leurs propositions à l’adresse : contact@harmony-ge.com.
Chaque idée donnera lieu à une analyse en vue d’un maquettage pour faisabilité. Les meilleurs projets se verront remettre un prix en marge du prochain Salon de l’agriculture : 1er prix : une tablette tactile Samsung.